Depuis quelque temps et encore dernièrement, on constate, au Québec, que dans un certain nombre d’appels d’offres publics (marchés publics) ou sur invitation pour des produits ou des services liés à la gestion documentaire, une tendance désolante à réduire les critères de qualité. Des clauses de contrôle de la qualité « non applicables » voisinent des demandes au plus bas prix, sans égard à l’expertise, au savoir-faire ou à l’expérience des fournisseurs. Il s’en suit une guerre inconsidérée de prix avec comme conséquence l’implication de ressources humaines qui n’ont généralement pas la formation technique ou professionnelle, ni d’expérience concrète du métier. Bien plus, les firmes soumissionnaires sont aussi des entreprises généralistes de placement de personnel qui n’ont aucune compétence reconnue en gestion documentaire en général ou dans certains processus spécifiques comme le traitement des documents, les travaux préparatoires à la numérisation des documents, la numérisation des documents…
Cette pratique qui vise à réduire les coûts des opérations dans une période économique difficile me semble relever d’une politique à courte vue. Mais à toute chose il y a un juste prix. Comment des entreprises sérieuses spécialisées en gestion intégrée des documents peuvent-elles continuer à accroître leur expertise pour en faire profiter un plus grand nombre d’organisations, voire même pour exporter leur savoir-faire, si on les force à couper dans la qualité des ressources, des produits et des services? Si pour gagner un appel d’offres il faut rémunérer son personnel au salaire minimum, je ne vois pas comment il est possible d’assurer le niveau de qualité requis pour aider un tiers à gérer adéquatement les ressources probablement les plus difficiles à gérer dans une organisation : les ressources documentaires.
À quoi servent la recherche et le développement de méthodologies, de principes directeurs et de bonnes pratiques qui reposent sur la rigueur dans les processus d’affaires si ces investissements ne sont pas considérés par les donneurs d’ouvrage? Je prends aussi pour exemple l’établissement de schémas de classification. Cet outil est la pierre d’assise d’un système de gestion intégrée des documents. Et pourtant, les organisations qui souhaitent se faire accompagner dans cet exercice d’architecture de leurs séries documentaires ne se soucient guère de la qualité structurelle du résultat. Il en résulte des arborescences à la logique souvent douteuse mixant à la fois des activités, des objets de gestion, des types de documents, des noms d’organismes, des dossiers… Comme le disait Molière, un « melting pot » classificatoire! Et le client n’y voit que du feu dans l’économie de bout de chandelle qu’il a su arracher à l’un de ses fournisseurs. Ce qu’il ne sait pas, c’est que dans quelques années, il aura peut-être à recommencer le même exercice croyant qu’il est normal de remettre cent fois sur le métier son ouvrage! Dans toutes les professions, il y a des gens sérieux dont les services qui ont un juste prix ont aussi une pérennité certaine. Il y a aussi beaucoup de place et parfois même de reconnaissance pour l’improvisation qui donne l’impression d’une économie projetée sur un écran de fumée. C’est bizarre, mais lorsqu’un viaduc s’écroule et que l’on constate qu’il n’avait pas été construit selon les règles de l’art…
En tant que spécialistes de la gestion intégrée des documents, nous devons dénoncer ces situations. Pas surprenant d’entendre encore de nos jours que lorsqu’il y a des postes ou des ressources à couper dans le budget d’une organisation, c’est le secteur de la gestion documentaire qui écope en premier. Quand l’offre n’a pas beaucoup de valeur ou de crédibilité, il est difficile d’en justifier la raison d’être. Personnellement, après bientôt 34 ans sur le terrain, j’en viens parfois à m’interroger sur la pertinence d’avoir investi et de continuer d’investir autant de temps dans la recherche pour toujours mieux faire en offrant des produits et des services dont le rapport qualité-prix est le plus équilibré possible.
Michel Roberge
5 commentaires:
Cela ne va peut être pas vous consoler, mais je crains que ce ne soit pas qu'au Québec ni que dans nos domaines. Dalb
Je ne suis pas en mesure de porter un jugement dans les autres domaines que celui de notre métier. Mais s'il s'agit d'un mouvement plus "universel", c'est d'autant plus désolant.
Bonjour Monsieur Roberge,
Je suis en grande partie d'accord avec vous. J'ai fait une étude sur la gestion documentaire dans le réseau de la santé au Québec, il y a quelques années (CSSS). J'y ai constaté que le tableau était en général plutôt gris, voire noir pour certains établissements.Bien sûr, il y a la problématique du "concubinage" entre la gestion des archives médicales et de la gestion des documents administratifs et le fait que les gestionnaires ne distinguent pas les 2 systèmes d'information.Heureusement, il y a eu des améliorations. Mais, il reste beaucoup à faire.
Dany Ouellet, archiviste
le fait de devoir partager tous ces documents dans des lieux physiques nombreux emmènent les CSSS à devront offrir des solutions adaptées au web et surtout autorisant les liens avec les active directory des CSSS pour gérer l'accès et les droits.
Si on veut offrir un produit efficace aux CSSS, on doit prévoir des workflow intégrés avec avis courriels lors d'un dépot ou modificaiton de documents, l'intégration de certains documents dans des portails avec droits d'accès, des discussions intégrer à l'amélioration d'un document commun en construction. le versionnage de documents et tout cela dans un palette de coûts abordable...car nous sommes toujours déficitaires naturellement. Des solutions à 50 000, 100 000$ sont nettement inabordables pour nous car en plus il faut surtout ajouter à cela les ressources humaines et leur mobilisation dans un projet commun de changement de la gestion de nos documents papiers mais aussi electronique
Je pense que les CSSS sont devant des choix difficiles mais incontournables et que l'aspect de la qualité du fournisseur et son expertise que ce soit en systèmes propriétaires ou open source finira par gagnées... mais la route sera longue.
JF Rancourt md
chef du département de médecine CSSS Montmagny l'Islet
Je suis pleinement d’accord avec monsieur Jean-François Rancourt car des solutions logicielles de 50 000 $ à 100 000 $ pour gérer des documents, c’est tout à fait inabordable. Et je suis aussi en accord avec le fait que les solutions logicielles de Gestion intégrée des documents soient des solutions 100 % Web et qu’elles incluent des fonctions de workflow. Toutefois, il faut se rappeler que les documents (dernière version) enregistrés dans de telles solutions sont des documents finis, donc diffusables et utilisables. Alors que les versions antérieures ne sont pas les versions officielles. Mon équipe et moi travaillons depuis plus de 2 ans pour répondre à ces attentes. Nous avons eu et nous avons toujours dans la mire des produits dont le prix ne sera pas un frein à leur utilisation.
Quand je parle de nivellement par le bas, je veux surtout mettre en évidence que ce n’est pas en forçant les fournisseurs sérieux et expérimentés à payer au salaire minimum des ressources techniques et professionnelles pour gagner des appels d’offres dont seul le prix importe, peu importe la qualité, qu’on leur permet de dégager une marge de manœuvre acceptable pour être en mesure de poursuivre leur développement. Cette façon de penser semble incontournable lorsqu’il est question de gestion documentaire. Elle ne semble pas se manifester dans le domaine de l’informatique en général. Et pourtant, sans système cohérent de gestion des documents, les organisations sont confrontées à des coûts importants. Cela dit, j’ai toujours été et je demeure partisan d’un rapport qualité-prix juste et acceptable compte tenu des réalités économiques incontournables. Il y a un équilibre à atteindre tant pour le bénéfice du client que pour celui du fournisseur.
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