12 mars 2012

527 – La théorie des trois âges revisitée (1)

Je m’en confesse : j’ai péché en 2009 par l’affirmation de la validité de la théorie des trois âges dans mon dernier livre sur La gestion intégrée des documents (GID). Dans le feu de l’action, il est malaisé de se remettre en question. En soi, il est difficile de revisiter des concepts qui nous ont été inculqués et dont les tenants et aboutissants ont été martelés au gré des années. Dans les ornières façonnées avec le temps par les tenants de l’archivistique, même dite moderne pour la rendre plus attrayante. Jusqu’au moment où…

Les faits : la célèbre théorie des trois âges (statut actif / semi-actif / inactif ou synonymes) relève d’un autre siècle. Imaginée au lendemain de la deuxième Grande Guerre mondiale par T. R. Shellenberg et reprise dans les années 60 par Yves Pérotin, ce modèle conceptuel, visait à régler un problème de conservation physique des dossiers exclusivement en format papier. Un paradigme sur lequel le métier s’est arrimé à partir d’un point de vue des archives, des documents de conservation permanente ayant valeur historique ou patrimoniale sous la garde des archivistes. Et de dirais même plus, dans un contexte presque exclusivement de services publics. À bien y penser, cette vision du cycle de vie basée sur ce triptyque a donné lieu à des applications plus que douteuses.

Le degré d’activité des documents (actifs et semi-actifs) introduit par Schellenberg en est un qui s’applique d’un point de vue exclusivement administratif, de management, dans le contexte de la conduite des affaires, de la réalisation des activités. En fait, de leur utilité pour conforter, documenter et donner, au besoin, un appui juridique aux décisions et aux actions du personnel des organisations. Pendant cette phase, les documents ont une utilité et doivent être utilisables. Lorsqu’ils deviennent inactifs, toujours selon la théorie, ce qualificatif s’applique lui aussi à la valeur administrative en général, financière ou juridique desdits documents. À partir de ce constat, ce statut fait plutôt référence à un sort final, d’un point de vue exclusivement administratif : peut-on ou doit-on détruire les documents devenus totalement obsolètes pour la conduite des affaires?

L’association éculée du statut « inactif » aux documents d’archives de conservation permanente (archives dites historiques) a parfois conduit à l’énoncé d’activités plutôt aberrantes, quand on y pense bien. Par exemple, la notion de « gestion des documents inactifs » énoncée dans la Loi sur les archives du Québec (1983) et dans son Règlement sur le calendrier de conservation… (1984) largement inspiré de l’interprétation erronée publiée l’année précédant son adoption dans Les archives au XXe siècle de Carol Couture : « Document inactif : Document qui a perdu toute utilité administrative et opérationnelle et qui est conservé pour des fins historiques » (!!!).

Ce lien direct entre l’inactivité d’un document et de son historicité qu’un grand nombre d’intervenants du métier et d’enseignants véhiculent encore constitue, à mon point de vue, un détournement sémantique. Du point de vue d’un dirigeant ou d’un gestionnaire, le sort final des documents inactifs se traduit d’abord et avant tout par la nécessité économique de se départir des éléments inutiles et encombrants. Ce qui a toujours été évident pour les stocks de documents en format papier accumulés avec les années. Beaucoup moins par rapport aux documents technologiques devenus invisivibles par leur nature et leur lieu de stockage (serveurs consignés dans des salles inaccessibles ou en nuages.

Autre expression à éliminer (bien qu’elle soit de moins en moins utilisée) : le « préarchivage » comme équivalent au statut de semi-activité. En effet, à la fin de leur vie utile dans la gestion des activités, seule une minorité de documents et de dossiers sont voués à une conservation permanente comme documents d’archives, la majorité d’entre eux devant être détruits. Il est donc inapproprié de les considérer en situation de préarchivage.

Dans la gestion du sort final des documents, la sensibilité à la préservation des éléments patrimoniaux relatant les étapes de vie importantes de l’organisme public ou de l’entreprise doit s’ajouter, nous en convenons tous, aux préoccupations premières d’efficience d’un management efficace. Elle n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais un argument d’offre de service dans une organisation centrée sur la livraison de produits ou de services à des clients ou à des citoyens. Subtilement, dans la conception, le développement, le déploiement, la maintenance et l’évolution de systèmes de gestion intégrée des documents (GID) en format papier et technologiques (je dirais même plus spécifiquement encore dans le cas des documents technologiques qui sont de plus en plus « volatiles »), la préservation des documents d’archives vient naturellement s’insérer.

Prochain volet : Adopter un nouveau modèle conceptuel.

Michel Roberge

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