14 mars 2012

528 - Priorités budgétaires : faire la guerre ou sauvegarder la mosaïque mémorielle d’une société?

Plutôt inquiétant ce qui se passe à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) : une remise en cause de l’institution dans un contexte de coupures gouvernementales qui risque d’affecter dramatiquement les différents domaines de la culture. BAC ne conservera désormais que « ce qui concerne le Canada, la société canadienne », dixit Daniel Caron, administrateur général de l’institution qui procède actuellement à la fermeture d’un certain nombre de centres fédéraux de documents semi-actifs. Coupures budgétaires oblige, mais surtout pas dans les sommes allouées pour des avions de chasse dernier cri.

Autrefois on faisait référence à l’Archiviste national du Canada, un poste de prestige équivalant à celui des Archives nationales du Canada (entité dont la dénomination a été effacée de la mémoire des canadiens, comme au Québec d'ailleurs), mais aujourd’hui on doit s’adresser à un bureaucrate, un administrateur qui s’emploie à redéfinir une politique d’acquisition qui, selon ses propres dires, prendra des années à s’élaborer. Ce long délai s'explique probablement parce qu’on marche sur des œufs lorsqu’on essaie de définir la « culture canadienne ».

Personnellement je me demande comment interpréter cette affirmation de l'administrateur Caron dans le contexte du dépôt légal de publications. Mon dernier livre sur Le schéma de classification hiérarchique des documents administratifs (déposé légalement en 2011 auprès de BAC, comme de BAnQ), a-t-il été considéré comme un ouvrage « qui concerne le Canada, la société canadienne » ou a-t-il été déposé à mon insu dans un « BAC » de recyclage?

Quant aux donateurs d’archives privées (le 10 % d’acquisitions discrétionnaires – bel exemple de langue de bois bureaucratique), ils sont laissés dans l’ignorance de ce qu’il adviendra de leur mémoire consignée dans les documents de toute une vie. À preuve, l’actrice Madame Rita Lafontaine qui attend toujours la décision de ceux-là mêmes qui se réjouissaient, en 2009, du don de ses archives n’est pas unique. Je connais un autre québécois, l’auteur et ethnologue Michel Noël qui lui aussi a remis ses archives riches sur l’histoire des autochtones et attend, depuis 2009 (une année charnière dans l’histoire administrative de BAC, semble-t-il), ce qu’il adviendra des dizaines de boîtes que le personnel de BAC s’était empressé de transférer à Ottawa. Et il y en a certainement d'autres qui gagneraient à se manifester.

En 2011, l’Association canadienne des professeures et professeurs d'université a mis en ligne un cri du cœur : Sauvons Bibliothèque et Archives Canada. Il y est possible de transmettre son opinion auprès de BAC. Pour sa part, à ma connaissance, la communauté archivistique ne semble pas ému par ces faits troublants qui devraient toucher ses membres au plus profond de leurs convictions professionnelles. Il est vrai qu'il est difficile de montrer les dents à la main qui nourrit! Mais si le politique use de l'argument financier pour orienter le choix des documents à conserver dans les archives d'une société, c'est la neutralité de la profession d'archiviste qui est attaquée de plein front. Beaux problèmes d'éthique en vue.

En conclusion, si rien ne bouge, peut-être que tous les donateurs québécois d’archives qui avaient mis leur confiance envers l’institution nationale canadienne devraient demander un rapatriement de leurs biens culturels au Québec! À moins que Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) ne manifeste aucune réceptivité. Ce serait alors bien triste pour le futur de la mémoire des Québécois.

Michel Roberge

1 commentaire:

Michel Roberge
Expert en gouvernance documentaire
a dit...

et pendant ce temps... http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2012/03/20120319-213613.html