15 oct. 2012

622 – Le mal que se donnent les hommes pour classer, condenser et systématiser…

Lu dans, La Tristesse du Samouraï (Víctor del Árbol  - Paris : Actes Sud, 2012, pages 206 et 207) :

« Ce n'était peut-être qu'une intuition. Après tout, peut-être perdait-elle son temps, se dit Maria, découragée devant les milliers de dossiers entassés dans les couloirs des archives de l'Ordre.

L'atmosphère saturée de vieille poussière envahit ses poumons. Elle sourit avec une pointe de nostalgie. Il y avait des années qu'elle n'était pas revenue dans cet endroit. Et cette odeur réveillait des souvenirs de ses années d'étudiante, quand elle se plongeait pendant des heures dans ces affaires judiciaires. Une échelle posée sur un rail parcourait d'un bout à l'autre la bibliothèque aussi longue que large. Classés par dates, il y avait des centaines, des milliers de dossiers marron fermés par de gros rubans en toile. Un jour, tout cela serait la proie des flammes ou des broyeuses. Au rez-de-chaussée, elle avait vu les nouveaux ordinateurs. Des dizaines de fonctionnaires transcrivaient ces informations sur un support informatique. Cependant, il y en avait pour des années. Les temps changent, se dit-elle. Mais ce qui ne changeait pas, c'était le calme apparent de ce lieu d'un autre âge.

Les grandes baies du bâtiment laissaient entrer des flots de lumière qui éclairaient ce silence monastique. Il était étrange de voir le mal que les hommes s'étaient donné pour classer, condenser et systématiser les passions humaines, jalousie, colère, mort violente, délation. La justice, quelle prétention! Se dit Maria en passant le doigt sur ces étagères. Croire que la loi peut dominer la nature humaine, tout réduire à quelques pages, ordonner le fait, le juger, l'archiver, l'oublier. Pas plus compliqué. Et pourtant, le silence de ce lieu aidait à entendre le murmure des mots écrits, de leurs protagonistes, les cris des victimes, les haines jamais oubliées des parties en présence, la douleur inextinguible. Tout cet ordre n'était qu'une simple apparence. »

Michel Roberge

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