Notes de lecture - Saisie kilométrique de texte
Lu
aussi dans La rue des voleurs, un roman
bouleversant qui raconte quelques années de la vie d’un jeune marocain sans
avenir, amoureux des livres et de l’écrit animé par un désir d’affirmation d’un
humanisme arabe (Mathias Énard. – Actes Sud / Leméac, 2012).
« … je
passais douze à seize heures par jour devant l'écran, le dos plié comme un
ramasseur de haricots verts, à recopier fidèlement, avec mes quatre ou six doigts, des livres, des
encyclopédies culinaires, des lettres manuscrites, des archives, tout ce que M.
Bourrelier me passait. Le job portait bien son nom: saisie kilométrique, travail
au kilomètre; plus précisément "double saisie", car ce travail d'abruti
était fait deux fois, par deux abrutis différents, et on croisait ensuite les
résultats, ce qui donnait un fichier fiable qui pouvait être remis au
commanditaire. Les clients de M. Bourrelier étaient des plus divers: des
maisons d'édition qui voulaient exploiter numériquement ou réimprimer un vieux
fonds, des ministères qui avaient des tonnes et des tonnes d'écritures à gérer,
des villes, des mairies dont les archives débordaient, des universités qui envoyaient
de vieilles bandes magnétiques de cours magistraux et de conférences à
retranscrire - on avait l'impression que toute la France, tout le verbiage de
la France atterrissait ici, en Afrique; le pays entier vomissait du langage sur
M. Bourrelier et ses nègres. Il fallait taper vite, bien sûr, mais pas trop
vite, car on payait les corrections de notre poche: chaque fois que le
croisement de la double saisie révélait une erreur, le mot ou la phrase en
question étaient vérifiés et la coquille décomptée de mon salaire. » (p.
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