« Fin du XVème, l'Italie est le champ d'opposition de la France, de l'Empire, et du Vatican. Florence est une carte maîtresse dans ce jeu politique. Les Médicis renversés, la jeune république est fragile et convoitée. En cette année 1498, la cité est secouée par des crimes odieux et sauvages, qui mettent à mal les autorités de la ville. La révolte gronde. Témoin d'un meurtre, Machiavel, alors jeune secrétaire de chancellerie et étudiant en philosophie, se lance dans l'enquête ».
Ainsi peut se résumer le polar de Raphaël Cardetti, Les larmes de Machiavel publié chez Belfond en 2003 (Pocket 12181). Aux pages 163 à 166, l’auteur nous y décrit un système de classement des archives de la Chancellerie imaginé par un certain Antonio qui n’a pas vraiment comme objectif de faciliter l’accès aux documents. Un des antagonistes du premier roman de ce spécialiste de la Renaissance italienne, à la recherche d’une preuve qui doit servir à l’enquête que mène Niccolò Machiavel, y est confronté. Jugez-en par vous-mêmes :
« Lorsque ser Antonio était entré en fonctions, près de vingt ans auparavant, les actes notariés étaient empilés dans le grenier, à la merci des rats et du ruissellement des eaux de pluie. Convaincu que la force d'un État se mesurait au soin que mettaient en œuvre ses représentants pour en conserver la mémoire, le chancelier était ulcéré parce terrible gâchis. Pris d'une incontrôlable frénésie, il avait un jour décidé d'inventer un système de rangement aussi parfait qu'inédit.
Accaparé par cet objectif suprême, il consacrait tous ses efforts à perfectionner le classement des dossiers rassemblés dans son repaire. […]
Sa quête obsessionnelle continuait de lui valoir l'ironie de beaucoup. Il était pourtant convaincu que les railleurs du jour seraient les zélateurs du lendemain. Grâce à lui allaient naître de nouvelles perspectives. Les chanceliers des plus grandes cours européennes viendraient le consulter, pour à leur tour transformer leurs archives en véritables œuvres d'art.
Devenir le maître incontesté de l'intelligence archivistique, tel était le glorieux destin auquel ser Antonio se savait promis.
Il pouvait rester des heures à contempler son trésor administratif, à la recherche du moindre document déplacé ou simplement posé de travers. En conséquence, de peur que son bel ordre ne soit dérangé par des mains maladroites ou simplement indignes de toucher des notes si magistralement classées, il n'autorisait personne à pénétrer dans son sanctuaire.
Située au premier étage de l'aile ouest du Palazzo Comunale, la pièce était en permanence surveillée par deux gardes armés. La clé qui ouvrait la porte était nouée au cou du chancelier par une fine cordelette de soie rouge. […]
Dans le silence le plus complet, Marco se glissa à l'intérieur. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à l'obscurité de la pièce. Comme il s'y attendait, les murs étaient couverts d'actes notariés, tous parfaitement alignés. […]
Si l'obsession du chancelier pour le rangement était aussi absolue qu'on l'affirmait, un des pans de la bibliothèque devait théoriquement rassembler les actes enregistrés au cours du mois de janvier
1498.
Il s'approcha du rayonnage le plus proche et en tira un feuillet au hasard. La date de décembre 1497 était inscrite sur la première page. Très excité par cette découverte, il fit glisser sa main et s'empara d'un nouveau parchemin, constatant avec stupéfaction qu'il remontait au mois de mars 1491.
Il empoigna une liasse de feuillets et les étala […]. Rédigés entre 1485 et 1498, sans continuité chronologique, ils étaient presque illisibles, tant l’encre utilisée par le clerc était passée. Ceux de l'étagère voisine avaient en commun la même calligraphie élégante et souple. La section suivante se distinguait par des traces de pliures infligées par des mains maladroites à la partie supérieure de chaque page.
Marco remit en place les dossiers d'un geste rageur. De toute évidence, ser Antonio était le seul à connaître la logique du fameux système dont il se vantait dans toute la ville. Il fallait un esprit aussi dérangé que le sien pour concevoir ces étranges appariements. »
Comme quoi les modes individuels de classement des documents qu’il faut remplacer, au cœur de système de gestion intégrée des documents (GID), par des schémas organisationnels de classification documentés ne datent pas d’hier. On a toujours associé et on associe encore « information/connaissances » (et accès à l’information et aux connaissances) et « pouvoir/décision/action ». D’où l’importance évidente pour une organisation publique ou un organisme du secteur privé de mettre en place des processus et des outils qui lui permettront de remplir efficacement sa mission et d’assurer sa pérennité.
Michel Roberge
Ainsi peut se résumer le polar de Raphaël Cardetti, Les larmes de Machiavel publié chez Belfond en 2003 (Pocket 12181). Aux pages 163 à 166, l’auteur nous y décrit un système de classement des archives de la Chancellerie imaginé par un certain Antonio qui n’a pas vraiment comme objectif de faciliter l’accès aux documents. Un des antagonistes du premier roman de ce spécialiste de la Renaissance italienne, à la recherche d’une preuve qui doit servir à l’enquête que mène Niccolò Machiavel, y est confronté. Jugez-en par vous-mêmes :
« Lorsque ser Antonio était entré en fonctions, près de vingt ans auparavant, les actes notariés étaient empilés dans le grenier, à la merci des rats et du ruissellement des eaux de pluie. Convaincu que la force d'un État se mesurait au soin que mettaient en œuvre ses représentants pour en conserver la mémoire, le chancelier était ulcéré parce terrible gâchis. Pris d'une incontrôlable frénésie, il avait un jour décidé d'inventer un système de rangement aussi parfait qu'inédit.
Accaparé par cet objectif suprême, il consacrait tous ses efforts à perfectionner le classement des dossiers rassemblés dans son repaire. […]
Sa quête obsessionnelle continuait de lui valoir l'ironie de beaucoup. Il était pourtant convaincu que les railleurs du jour seraient les zélateurs du lendemain. Grâce à lui allaient naître de nouvelles perspectives. Les chanceliers des plus grandes cours européennes viendraient le consulter, pour à leur tour transformer leurs archives en véritables œuvres d'art.
Devenir le maître incontesté de l'intelligence archivistique, tel était le glorieux destin auquel ser Antonio se savait promis.
Il pouvait rester des heures à contempler son trésor administratif, à la recherche du moindre document déplacé ou simplement posé de travers. En conséquence, de peur que son bel ordre ne soit dérangé par des mains maladroites ou simplement indignes de toucher des notes si magistralement classées, il n'autorisait personne à pénétrer dans son sanctuaire.
Située au premier étage de l'aile ouest du Palazzo Comunale, la pièce était en permanence surveillée par deux gardes armés. La clé qui ouvrait la porte était nouée au cou du chancelier par une fine cordelette de soie rouge. […]
Dans le silence le plus complet, Marco se glissa à l'intérieur. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à l'obscurité de la pièce. Comme il s'y attendait, les murs étaient couverts d'actes notariés, tous parfaitement alignés. […]
Si l'obsession du chancelier pour le rangement était aussi absolue qu'on l'affirmait, un des pans de la bibliothèque devait théoriquement rassembler les actes enregistrés au cours du mois de janvier
1498.
Il s'approcha du rayonnage le plus proche et en tira un feuillet au hasard. La date de décembre 1497 était inscrite sur la première page. Très excité par cette découverte, il fit glisser sa main et s'empara d'un nouveau parchemin, constatant avec stupéfaction qu'il remontait au mois de mars 1491.
Il empoigna une liasse de feuillets et les étala […]. Rédigés entre 1485 et 1498, sans continuité chronologique, ils étaient presque illisibles, tant l’encre utilisée par le clerc était passée. Ceux de l'étagère voisine avaient en commun la même calligraphie élégante et souple. La section suivante se distinguait par des traces de pliures infligées par des mains maladroites à la partie supérieure de chaque page.
Marco remit en place les dossiers d'un geste rageur. De toute évidence, ser Antonio était le seul à connaître la logique du fameux système dont il se vantait dans toute la ville. Il fallait un esprit aussi dérangé que le sien pour concevoir ces étranges appariements. »
Comme quoi les modes individuels de classement des documents qu’il faut remplacer, au cœur de système de gestion intégrée des documents (GID), par des schémas organisationnels de classification documentés ne datent pas d’hier. On a toujours associé et on associe encore « information/connaissances » (et accès à l’information et aux connaissances) et « pouvoir/décision/action ». D’où l’importance évidente pour une organisation publique ou un organisme du secteur privé de mettre en place des processus et des outils qui lui permettront de remplir efficacement sa mission et d’assurer sa pérennité.
Michel Roberge
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