Depuis l’an 2000, chaque été, le Festival international de jardins aux Jardins de Métis/Reford Gardens, à mi-chemin entre Rimouski et Matane, présente « des jardins éphémères qui se situent à la croisée de plusieurs disciplines : le design de paysage, le design de jardin, l'architecture, le design et l'art environnemental ». Dans le cadre de sa onzième édition, dont le thème est « Le Paradis » avec comme ville invitée Berlin, l’événement considéré comme l’un des plus importants à l’échelle internationale, propose une installation qui fait jaser : le Jardin de la connaissance imaginé par l’architecte paysagiste, enseignant, écrivain et jardinier allemand Thilo Folkerts et l’artiste canadien, écrivain et designer basé à Berlin Rodney Latourelle.
« Évoquant la relation mythique entre la connaissance et la nature, comme partie intégrante de la notion de paradis , […] les concepteurs sollicitent « la participation émotive du visiteur en exposant ces objets culturels fragiles, prétendument intemporels aux processus de décomposition. Les murs, les bancs et les planchers en livres usagés structurent une suite d’espaces qui sont à la fois cadrés et dissous dans leur environnement. Le dessèchement et l’altération des livres s’organisent entre des planches de couleur, qui sont comme des séparateurs. Cette détérioration est stimulée et accentuée par la présence de variétés de champignons qui sont cultivés sur certaines éditions de livres. Le jardin devient alors une salle de lecture sensuelle, une bibliothèque, une plateforme d’information, une invitation à la découverte d’un domaine étranger de la connaissance ».
40 000 livres (bibles, ouvrages sacrés, romans, dictionnaires, manuels de scien¬ce…) exposés au soleil et à la pluie sur lesquels les visiteurs peuvent marcher et s’asseoir et dont certains servent aussi à la culture de champignons.
La critique s’enflamme : scandaleux, provocateur, désolant comme décor, désastreux! Non sans rappeler les destructions publiques de livres à différentes époques de l’histoire de l’humanité!
Et pourtant… ces livres dits périmés, résultat d’un élagage réalisé par la Commission scolaire des Phares de Rimouski, ne sont pas certainement pas uniques. Ayant fait l’objet d’un dépôt légal, deux exemplaires sont préservés dans les grandes bibliothèques nationales et un très grand nombre d’entre eux se retrouvent dans des bibliothèques publiques. Aucun risque de perte des connaissances qu’ils véhiculent. Quant à savoir s’il n’avait été plus utile d’en faire bénéficier des milieux défavorisés, cette option n’a pas grand sens puisqu’il s’agit majoritairement d’ouvrage dont le contenu n’est plus d’actualité.
L’art est souvent sujet à controverse. On y voit bien ce qu’on veut y voir. À preuve, dans ce cas, les livres, de par le support sur lequel sont consignées les connaissances, sont des objets végétaux. Une matière que l’être humain a utilisée et continue d’utiliser en la cueillant dans la nature. Ce Jardin de la connaissance qui se gorgera d’eau, s’effritera et moisira tout au cours de l’été retournera à la terre une partie de ce qu’elle nous a temporairement prêté pour diffuser non seulement une partie des connaissances humaines, mais aussi son expertise et son savoir-faire. On n’est pas très loin du fameux « Arbre de la connaissance » du mythique « Paradis terrestre »! Je serai à Grand-Métis à la mi-août et, croyez-moi, mon opinion ne changera pas même si j’y découvre une de mes publications en train de s’y désagréger. Une fois l’événement terminé, ces ouvrages prendront la direction du recyclage ou du compostage pour une nouvelle utilisation.
Et si ce Jardin de la connaissance avait composé de centaines de milliers de cédéroms ou de dévédés, la critique aurait-elle été aussi sentie?
Michel Roberge
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