Dernièrement, sur son blogue Archives on line, Lourdes Fuentes Hashimoto soulevait une question importante : « L’archiviste du XXIe siècle est-il bien formé? », tout en constatant « que très peu de personnes s’interrogent sur l’importance de la formation pour l’avenir de la profession ». Et à la question, elle concluait que non. Je ne connais pas le contexte français de la formation des intervenants en gestion des documents administratifs (« Records Managers ») et des archivistes. Par contre, ayant moi-même enseigné pendant environ sept ans à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) en tant que responsable du Certificat de premier cycle en gestion des documents administratifs et des archives, j’ai une bonne idée de ce qui se fait, de ce qui ne se fait pas et de ce qui devrait se faire de ce côté-ci de l’Atlantique. Et mon expérience personnelle en est une majoritairement de consultant auprès d’organisations qui, la plupart du temps, ne disposent pas de ressources spécialisées dans le domaine.
La formation professionnelle (universitaire) et technique (CÉGEP) doit répondre à des besoins de plus en plus complexes. Par exemple, dans mon dernier livre sur La gestion intégrée des documents (GID) et à partir d’un vécu dans des organisations de plus en plus complexes, j’ai tenté d’identifier les profils d’intervenants spécialisés en systèmes de GID qui seront de plus en plus demandés dans un contexte documentaire de plus en plus hybride (papier et technologique – électronique – numérique):
• Conception de systèmes : analystes en processus d’affaires capables de réaliser des états de situation et de proposer des plans d’action, de rédiger des politiques, des normes et des procédures…
• Développement de systèmes : architectes documentaires spécialisés en structures d’information
• Déploiement de systèmes : agents de changement, spécialistes de la formation et de l’accompagnement (coach), documestres à l’échelle corporative et sectorielle
• Évaluation et maintenance de systèmes : analystes auditeurs
• Archivistes responsables de la garde des documents d’archives de conservation permanente
Par curiosité, j’ai aussi relevé les différentes thématiques des cours offerts au Québec dans les programmes de premier cycle des universités francophones : difficile d’y trouver des lignes directrices. Il y est évident que le virage technologique est à peine perceptible. Et il est aussi étonnant, encore aujourd’hui, de constater à quel point tous ces programmes, à l’exception de ceux de l’Université de Montréal (EBSI), sont rattachés à des départements d’histoire!
Mais quel genre de professionnels souhaite-t-on former? Des archivistes, ceux qui ont la garde des documents des documents d’archives de conservation permanente (archives historiques) et qui doivent en assurer la conservation, la protection et la mise en valeur? Des spécialistes du conseil en GID, qui n’ont pas la responsabilité de gérer au quotidien les documents, mais qui ont pour rôle de concevoir, de développer, de soutenir l’ensemble des personnes (les vrais « Records Managers », en fait) qui gèrent effectivement leurs documents et ceux de leur unité administrative. Deux grandes catégories de gens de métier qui doivent posséder les qualités, les connaissances, les compétences et le savoir pour jouer le bon rôle dans leurs organisations.
J’ai toujours pensé, en tout cas depuis que j’ai enseigné dans le domaine, que la formation des intervenants du métier devrait relevée du secteur de la gestion et non pas de l’histoire. Les archivistes et les spécialistes du conseil en GID évoluent dans un contexte de gestion d’une des ressources organisationnelles : les ressources informationnelles. Leur efficacité et l’arrimage de leurs interventions reposent sur une maîtrise des principes et des outils de gestion et du contexte du management et de la gouvernance d’un organisme, qu’il soit public ou privé. Selon le champ d’action ou de spécialisation, cette formation de base (minimum premier cycle complet universitaire) doit nécessairement être complétée par l’acquisition de connaissances en histoire, en sciences de l’information, en technologies de l’information, en pédagogie, en communications… Et surtout, cette formation doit permettre à ceux et à celles qui veulent faire carrière dans ce métier d’être bien outillés pour intervenir aussi dans les organisations du secteur privé dont le contexte est différent des organismes publics et qui, pour la grande majorité, ne sont pas sensibilisées à l’importance d’une saine gestion documentaire. Une réflexion en profondeur s’impose « pour l’avenir de la profession ».
Pendant ce temps, l’Université Laval de Québec recrute un nouveau professeur pour son programme de formation des futurs archivistes et « Records Managers ». Qualifications requises : « doctorat, ou diplôme équivalent, en archivistique ou en histoire ou en sciences de l’information ou dans une autre discipline avec une spécialisation sur une problématique archivistique. Spécialisation en gestion de documents numériques dans l’une ou l’autre des perspectives suivantes : Document Management, […] », Records Management » [tiens tiens, la première université francophone d’Amérique s’anglicise!] [et] exploitation et mise en valeur des archives. […] Compétence complémentaire en histoire, histoire de l’art, ethnologie, archéologie ou muséologie. » Aucune mention des sciences de la gestion ni de compétences en technologies de l'information. Cherchez l’erreur.
Michel Roberge
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