Au cours d’une vie professionnelle, il y a généralement des mentors qui nous ont marqués. Exceptionnellement, parfois, la destinée fait en sorte qu’une personne s’impose : elle allume la flamme, l’entretient, l’alimente. Robert Garon fut pour moi cet incendiaire tout au long des 37 dernières années.
C’est lui qui m’a donné, au cours des années 70, à la fin de mes études de premier cycle, dans le cadre d’un stage d’été, la piqûre du métier que je pratique : le « Records Management », comme on disait à l’époque, et la gestion des documents d’archives de conservation permanente.
Quelques années plus tard, j’ai eu le privilège de côtoyer Robert comme collègue alors qu’il était directeur du Centre d’archives de Québec des ANQ qu’on appelait, à l’époque, à juste titre, « La Maison des archives ». Puis comme patron lorsqu’il est devenu Conservateur des Archives nationales où il m’a permis, entre autres, d’explorer des avenues nouvelles en gestion documentaire (entendre ici le fameux bureau sans papier dont on rêve encore). Robert avait d’ailleurs rédigé, en 1983, la préface de mon premier livre sur La gestion des documents administratifs. « L’auteur [concluait-il], forcé comme tous et chacun de vivre depuis des années en harmonie avec le papier, nous y présente la possibilité d’un bureau… sans papier. » Déjà nous partagions une vision commune de l’avenir du métier. En 1984, il m’appuya d’ailleurs dans la réalisation d’un diaporama intitulé « Un bureau sans papier, un jeu d’enfant » présenté à Québec au Super congrès de l’Association des archivistes du Québec (AAQ): une illustration du concept de gestion intégrée des documents (GID) avant l’heure.
La même année, il m’avait accordé sa confiance de jeune praticien en me confiant la tâche de rédiger la Politique de gestion des documents actifs du gouvernement du Québec après consultation des intervenants des différents ministères et organismes.
En 1985, Robert a permis que je sois libéré de ma tâche aux ANQ, pour quelques années, afin de prendre en charge la direction du programme de Certificat en gestion des documents administratifs et des archives de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Inconsciemment, il a contribué à la fondation de Gestar, firme-conseil en gestion documentaire avec comme actionnaires et gestionnaires d'anciens étudiants.
Autour d’un café, à la même période, j’avais proposé à Robert d’explorer la possibilité de tenir, au Québec, l’un des prochains congrès du Conseil international des archives (CIA). Faisant ni un ni deux, Robert a convaincu l’Archiviste du Canada, Jean-Pierre Wallot, d’inviter l’organisme international à réunir à Montréal, en 1992, l’ensemble des archivistes de la planète. Robert insista afin que je fasse partie du comité organisateur. Je fis partie de la délégation, en 1988, à titre d’observateur, au congrès de Paris précédant de quatre ans celui de Montréal. Encore une fois, bien malgré lui, Robert a été un entremetteur en suscitant une rencontre fortuite avec un groupe de cinq Catalans, à la sortie d’une réception mémorable dans le pavillon de l’Orangeraie à Versailles. Il s’en suivit une implication personnelle dans la formation en gestion des documents d’un grand nombre d’archivistes de Catalogne et l’émergence de quelques amitiés qui perdurent.
Au cours des années 2000, Robert me recommanda auprès de l’organisateur d’un Stage international sur les archives courantes. J’y ai exposé à une quinzaine d’archivistes provenant de différents pays ma vision de la gestion intégrée des documents.
En 2005, Robert m’encouragea à présenter un mémoire devant la commission chargée d’étudier les amendements à apporter à la Loi sur l’accès aux documents… : une intervention privée appuyant le projet de désigner le plan de classification comme équivalent à la liste de classement pour faciliter le droit d’accès aux documents publics. Il en avait même révisé le contenu et proposé des ajustements fort à propos.
Robert et moi partagions un même amour : celui de la langue française et là-dessus, j’avais beaucoup à apprendre pour améliorer mon style. Tout naturellement, il est devenu un correcteur et un critique incontournable dans l’écriture des autres ouvrages que j’ai publiés jusqu’à très récemment. En 2009, Robert m’a fait d’ailleurs l’honneur de présider au lancement de mon livre sur La gestion intégrée des documents (GID) en format papier et technologiques qu’il avait évidemment corrigé et critiqué pendant les 12 mois précédant sa publication. Déjà, il était amaigri et il m’annonça que le cancer l’avait injustement choisi dans les mois qui suivirent. Ce qui ralentit mon ardeur à entreprendre l’écriture de mon ultime ouvrage portant sur Le schéma de classification hiérarchique des documents administratifs qu’il accepta, malgré les nombreux traitements qu’il devait subir, de réviser avec la même attention. Le jour même de sa sortie de l’imprimerie, je lui ai personnellement porté le premier exemplaire. Il était alors évident que la maladie progressait lentement.
Au printemps 2011, sur le site des Têtes rasées de Leucan, j’étais fier, tout comme son petit fils, Maxime, d’avoir sacrifié quelques poils afin de mobiliser des dizaines de personnes en appui à sa lutte et plusieurs milliers de dollars pour le financement de cet organisme.
L'été dernier, autour d’un bon rosé et d’un souper au homard, ma conjointe et moi avions eu la bonne idée d’inviter à Saint-Antoine-de-Tilly, des anciens du Ministère de la Culture et des Communications : Denis Vaugeois, ex-ministre, Michel Noël (Affaires autochtones), André Latulippe (Communications), Robert et sa conjointe Danielle (Archives nationales du Québec). Une rencontre mémorable où il était en pleine forme et où les souvenirs de chacun illustraient la complicité de l’époque où ils collaboraient au développement culturel du Québec.
Au cours des dernières semaines, j’ai eu le privilège de revoir Robert à l’Hôpital Saint-François d’Assise de Québec où il a accepté de déroger à la limite des 15 minutes maximum permises par visite.
Ce jour-là, en quittant les lieux, une idée a commencé à germer et s’est réalisée très rapidement. Le 28 janvier, j’en ai informé par courriel sa fille Isabelle qui lui a transmis le message et lui en a remis la preuve photographique.
Le 30 janvier, le jour de mon anniversaire, j’ai revu une dernière fois Robert à la Maison Michel Sarrazin. La photo couriellée voisinait les messages d’appui et les dessins de ses petits enfants. Dans son regard et dans sa poignée de main, j’ai senti qu’il était touché. J’étais content qu’il puisse savoir de son vivant toute la reconnaissance que j’avais envers lui.
Désormais, les visiteurs, les clients, les membres du personnel du Consortium DocuLibre/Gestar et toutes les personnes qui participeront à des activités de formation et de perfectionnement, dans nos locaux, utiliseront une salle dédiée à sa mémoire : la Salle Robert Garon. Et comme je dois circuler devant l’entrée de cette salle pour me rendre chaque jour à mon bureau, je pourrai te saluer, Robert.
Ce billet trop court en hommage à une des personnes à qui je suis redevable de mes réalisations professionnelles se résume aussi en deux mots : « Merci Robert ».
Michel Roberge
3 commentaires:
J'ai aussi suivi ses cours en 1969 ou 1970 et j'ai été en relation avec lui dans quelques dossiers par la suite. Nos rencontres (et nos conversations) étaient souvent fortuites, mais toujours agréables, dans les corridors de la colline parlementaire. Je ne crois pas avoir eu l'occasion de le rencontrer après ma retraite (2004) et, malheureusement, j'ignorais son état jusqu'au jour où le Devoir a annoncé son décès.
Je sympathise avec toi et j'ajoute mes remerciements aux tiens: c'est lui qui m'a recommandé, avec Marc Laterreur, pour entrer dans la Fonction publique en 1972.
Effectivement Robert a su insuffler un vent nouveau dans le merveilleux monde de la gestion documentaire et des archives. Sans son apport, les archives nationales ne seraient pas devenu ce qu'elles sont aujourd'hui.
Jeannot Magnan
J'ai eu le plaisir de faire la connaissance de Robert en 1992 au congrès international qui s'est tenu, comme tu l'as dit Michel, à Montréal. J'ai tout de suite été conquise par la gentillesse de cet homme, son humour et sa simplicité. Lorsque je l'ai revu, l'été dernier, c'est son courage qui m'a frappé. Malgré la maladie qui progressait inexorablement, une petite lueur à la fois moqueuse et lucide brillait au fond de ses yeux. J'ai admiré son courage et j'ai remercié la vie de m'avoir permis de croiser la route d'un homme tel que lui.
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