8 nov. 2009

181 – Décadence et grandeur de l’être humain


Si vous êtes, entre autres, amoureux des livres et des documents comme moi, je ne saurais trop vous recommander la lecture de Livres en feu – Histoire de la destruction sans fin des bibliothèques de Lucien X. Polastron (Denoël 2009 – Folio Essais 519), celui-là même qui a publié un très beau livre sur l’histoire du papier. En plus de 400 pages bien documentées, l’auteur nous démontre comment « détruire la bibliothèque est un geste qui remonte à la plus haute Antiquité ».

Les sociétés humaines ont détruit plusieurs milliards d’exemplaires de livres et de documents pour des raisons politiques et, la plupart du temps, pour des raisons religieuses : plus de 125 exemples de destructions, incendies, pillages, brûlements, anéantissements, dévastations, autodafés, disparitions, sacs, plasticages, mainmises depuis la destruction des bibliothèques de Thèbes en 1358 avant notre ère jusqu’au « saccage de presque toutes les bibliothèques irakiennes à la suite de la « libervasion » américaine » nous y sont racontés. Et l’auteur de compléter son essai sur une question : « Attaque en règle contre le support papier, convoitises pharaoniques sur l’information numérisée… les dangers d’aujourd’hui sont-ils pires que les grands malheurs vécus part les bibliothèques? »

Mais cet ouvrage n’est pas que funeste. À preuve, ces quelques notes de lecture à propos des :

Tablettes d’argile : « C’est au creux de l’argile ramassée entre le Tigre et l’Euphrate que se poinçonnait le suméro-akkadien, surnommé vulgairement « le cunéiforme », qui servit de moyen d’enregistrement à une bonne dizaine de langues variées. La tablette était séchée au soleil, ce qui la rendait friable, ou au four, après que l’on y eut ménagé de fines cheminées pour qu’elle n’éclate pas. Objet inusable, sauf à s’acharner à le mettre en miette comme cela s’est évidemment produit. » (page 16)

Archives sumériennes : « Déjà les Sumériens [2000 ans avant notre ère, en Mésopotamie] organisaient leurs textes et archives dans des corbeilles d’osier, des sacs de cuir ou des boîtes de bois indexés avec une étiquette, évidemment en terre cuite elle aussi. » (page 17)

Premiers papyrus : « Le premier vestige [de papyrus] portant des hiéroglyphes, lui, date de 2400 av. J.-C. Grâce à cette substance, documents administratifs, décrets, correspondance et autres contrats sont établis avec une obsession du détail nettement tracassière. » (page 25)

Bibliothèques : « « Bibliothèque » (boîte à livres, puis dépôt) vient du grec biblion, le rouleau de papyrus, qui constituait la forme de livre la plus répandue de l’époque où il commença à exister des quantités appréciables de textes écrits; ce biblion est lui-même tiré de büblos, cœur de la tige du papyrus, un produit égyptien par excellence. Quoi qu’il arrive, donc, la bibliothèque prend naissance et appellation à Alexandrie. » (page 30)

Supports d’information (Chine avant notre ère) : « [Quand le message] avait plus de cent mots, on l’écrivait sur un ts’ö [paquet de fiches de bambou]; quand il y avait moins de cent mots, on l’écrivait sur un fang [planchette de bois]. Les lamelles de bambou et les planchettes de peuplier ou de saule sont la matière des textes depuis, sans doute, l’époque Shang jusqu’au IIIe siècle; la soie (si) les rejoint entre le Ve et le IIIe siècle avant J.-C. pour environ mille ans mais reste chère. Quant au papier (zhi), il fait son entrée discrète dans l’histoire du livre vers notre IIe siècle. C’est de loin le plus inflammable des trois. Il ne fera qu’améliorer ses performances dans ce domaine en devenant de plus en plus vaporeux au fur et à mesure que l’art papetier chinois s’affine, quand sa matière première cesse d’être le bambou pilé, puis le chanvre ou le mûrier blanc, jusqu’à devenir vers le VIIe siècle cette substance souple et silencieuse composée de la fibre du santal bleu avec un soupçon de paille et d’air pur, que nous connaissons. » (page 122-123)

Livres classifiés sous les Han (Chine) : « Si les premiers catalogues raisonnés sont perdus, la classification en sept sommaires, ou résumés, sera adoptée pour longtemps : général, classiques, philosophie, poésie, science militaire, astronomie et mathématiques, sciences occultes. » (page 133)

Premières obligations de dépôt légal (Chine) : « il n’est pas admissible […] qu’un livre se trouve dans une bibliothèque privée s’il n’est pas dans celle de l’empereur. » (page 134-135)

Premiers moyens de reproduction (Chine) : « Si le vestige le plus ancien d’un texte xylographié sur papier [à partir d’une gravure sur bois] est antérieur à l’année 751, c’est vers la fin du siècle suivant que des livres non manuscrits commencent à se produire de façon appréciable. » (page 137)

Premiers systèmes de classifications par couleurs (Chine) : « En 1772, [l’empereur Qianlong] suggère de retrouver dans les archives publiques ou privées, et de gré ou de force, tous les livres rares de la Chine, manuscrits ou imprimés, pour les rassembler en un gigantesque corpus intitulé Totalité des livres, quanshu, en quatre sections, siku. Ces quatre parties […] recevront une reliure de soie de couleur appropriée : ouvrages canoniques (vert), historiques (rouges), philosophiques (bleu), mélanges littéraires ou belles-lettres (gris). » (page 143-144)

Michel Roberge

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