28 mai 2012

564 – L’agencement des mots pour refléter sa vision des choses

Vous me direz qu’il s’agit d’un fait anodin. Je vous répondrai qu’au contraire qu’il y a là matière à réflexion sur la responsabilité de ceux et celles qui ont comme métier de former les futurs professionnels du métier. Laissez-moi vous raconter.

Il y a quelques semaines, j’animais chez un client une activité de réflexion des gestionnaires d’un organisme public sur une approche conceptuelle et opérationnelle devant encadrer la rédaction d’une politique de gouvernance documentaire. J’étais accompagné d’une jeune professionnelle en apprentissage. Dans le cours des échanges avec ces décideurs, parlant de la gestion du cycle de vie des documents, j’ai énoncé, en une phrase, les impacts anticipés sur la masse documentaire : « Cette composante d’un système de gestion intégrée des documents (GID) en format papier et technologiques assurera une destruction sécuritaire des documents devenus inutiles d’un point de vue administratif, financier, légal ou opérationnel et la préservation des documents d’archives de conservation permanente ».

Sur le chemin du retour, alors que nous discutions de méthodologie, j’ai eu droit de la part de mon observatrice à cette remarque surprenante : « À l’université, j’ai perdu des points dans un travail parce que j’avais mis en évidence la destruction par rapport à la conservation des documents comme résultat de l’application d’un calendrier de conservation. Ma prof m'a enjoint, à titre de future archiviste, de prioriser la sauvegarde des documents historiques sur ceux à éliminer ».

Ma réponse fut instantannée: « Dans les organisations, les décideurs s’attendent à quantifier les impacts économiques et fonctionnels de la mise en place d’un système de GID. La préservation des documents d’archives de conservation permanente se situe très loin sur l’échelle de leurs préoccupations. Et on ne doit pas s’en scandaliser : un ou une gestionnaire a une obligation d’efficacité et d’efficience. Pour s’assurer d’une oreille attentive, on se doit mettre en en évidence les mots qui retiendront leur attention. Et ce, tout en s’assurant, à titre de spécialiste du métier, de la pérennité de mémoire historique organisationnelle.

En fait, tout est question de faire la part entre les ‘objectifs’ et la ‘résultante’ : dans un contexte de management, ‘objectifs de la gestion documentaire’ = exploitabilité maximale des documents utiles et élimination planifiée de ceux devenus inutiles. Ce qui peut se résumer en trois mots : gestion des risques. Quant à la ‘résultante’, la préservation des archives dites ‘historiques’, elle ira de soi sans qu’on ait à y mettre l’emphase. Tout est question d’utiliser un langage propre à susciter l’adhésion de ses interlocuteurs. »

À son regard hébété, j’ai compris qu’elle allait avoir une bonne discussion avec sa prof… une fois la grève étudiante terminée.

Michel Roberge

1 commentaire:

Cavour a dit...

Il faut absolument que l'organisation s'implique vraiment tout comme son gestionnaire de documents sinon...

Un gestionnaire de documents crédible doit avoir des outils crédibles, comme un calendrier de conservation à jour approuvé et consulté régulièrement par la direction et le personnel d'une organisation. "L'agencement des mots pour réfléter sa vision des choses" ne peut pas toujours suffire, si les outils,la crédibilité et la confiance manquent.

Mais, est-ce que l'enseignement en archivistique est bien adapté au marché du travail? C'est peut-être ça le problème concernant les propos de l'étudiante et de son professeur. Quelques cours en administration "101" ou des stages en entreprise seraient peut-être utiles.