Le dernier billet de Natalie Bissonnette publié sur son blogue le
20 janvier dernier et intitulé Étudier
en informatique ou en archivistique ? soulève deux questions
fondamentales pour le futur immédiat du métier de spécialistes de la gestion
des documents d’activité.
D’abord celle de l’inadéquation de plus en plus flagrante entre le curriculum des programmes québécois de formation universitaire et même technique en gestion des documents avec les besoins du marché. Et ce même si certains de ces programmes ont été partiellement réformés au cours des dernières années. Au point où la même auteure se demandait, en octobre 2013, À quoi sert la maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information ? Sentiments aussi partagés par certains autres collègues si on en juge par les commentaires accompagnant le billet de novembre 2013 de Daniel Ducharme portant sur La question de la formation des gestionnaires de documents et des archivistes au Québec. Situation face à laquelle j’ai été régulièrement critique, au cours des dernières années, dans quelques-uns de mes propres billets.
À la lecture de ces témoignages et à la suite de conversations avec des collègues de travail et même de clients, la formation professionnelle des futurs experts en gestion des documents d’activité en format papier et technologique accuserait-elle un retard de plusieurs années sur la réalité du terrain ? Et l’intelligentsia archivistique qui contrôle à la fois le milieu professionnel et académique n’aurait-elle pas laissé passer le train du changement entraîné par la locomotive des technologies, se confortant sur ses prérogatives personnelles ? La nature ayant horreur du vide, pendant tout ce temps, subrepticement, les spécialistes des TI n'auraient-ils pas occupé le terrain en faisant croire que parce qu’on doit maintenant gérer des fichiers informatiques et des courriels, un emballage systémique disproportionné était requis ? De sorte que seuls des hybrides technologues/spécialistes de la gestion documentaire auraient une chance de tirer leur épingle du jeu ? Comme si, dans un centre hospitalier, on devait exiger à un orthopédiste d’être aussi qualifié en gynécologie et néphrologie !
Quiconque connaît ce métier, sait très bien que les
organisations n’ont pas besoin de tels hybrides, mais doivent plutôt constituer
des équipes multidisciplinaires internes ou mixtes (internes/externes) composées
de spécialistes professionnels et techniques en mesure de développer des outils
techniques, d’optimiser les processus de gestion, d’appuyer la gestion du
changement par la formation, l’accompagnement et le soutien des utilisateurs et
d’assurer l’intégration et le pilotage des solutions technologiques.
À la lecture de ce billet publié sur Le bloque de Nyctale, il me semble qu’il y a urgence en la demeure et que les préoccupations
de l’heure n’en sont pas à s’interroger à savoir si le principe du respect des
fonds ou la théorie des trois âges (dont soit dit en passant a vu son cas réglé
dans un des livres blancs découlant de la norme ISO 30301) sont encore au cœur
de l’archivistique contemporaine. La réflexion et surtout l’action doivent prioritairement
porter le développement professionnel et
sur le positionnement et la défense du métier au sein des organisations
publiques et privées québécoises.
Ce qui m’amène à mettre en évidence l’autre question soulevée par
Natalie. Quoique plus délicate, elle m’interpelle également compte
tenu de mes expériences vécues au cours des 7 dernières années : les firmes de consultants
« sont à la remorque des appels d’offres des ministères et que ces
derniers exigent de plus en plus de critères inatteignables pour celles-ci ».
Il ne faut pas se le cacher : le milieu gouvernemental
québécois constitue une opportunité pour la poursuite du développement de l’expertise
en matière de gouvernance documentaire dans un contexte de gestion intégrée des
documents en format papier et technologiques pour les quelques firmes
québécoises de consultants spécialisés dans le domaine. Et pour les ressources
professionnelles et techniques fraîchement diplômées qui constituent les
équipes internes de plusieurs ministères et organismes, souvent réduites en
nombre, quand ces brigades existent.
Ces exigences déclassent les petites
firmes (25 employés et moins) spécialisées du métier au profit des majors généralistes.
Je sais de quoi je parle, croyez-moi. Si vous en doutez, expliquez-moi comment
une entreprise qui œuvre dans le domaine depuis près de 30 ans, qui a à son
actif un personnel professionnel qualifié qui cumule des dizaines d’années de
réalisations concrètes auprès de centaines d’organisations de toutes tailles
tant pour la gestion des documents en format papier que technologiques n’a
jamais pu se qualifier en autonome à partir d’un appel d’offres public depuis
2006 ? Et elle n’est pas la seule… Il faut aussi creuser cette question des « critères inatteignables » qui n’est
pas sans lien avec la première partie de ce billet… et qui pourra faire l'objet d'un autre billet.
PS : Ce constat est-il trop alarmiste ? Exprimez-vous ! Ajoutez vos commentaires, qu'ils soient favorables ou non, même sous une forme anonyme : la formule le permet. Je publierai tout.
13 commentaires:
Cela me laisse augurer de bons échanges après ma conférence du 30 mai au Congrès de l'AAQ, consacrée au besoin de former des archivistes hybrides...
Pour pouvoir aider les organismes à gérer l'information électronique, les professionnels de l'information doivent de plus en plus être en mesure de comprendre la technologie et les supports informatiques qui servent d'entrepôt. Sans cela, nous n'arriverons pas à établir notre crédibilité dans les milieux de travail.
Expert en gouvernance documentaire a dit...
Comprendre la technologie et les supports informatiques, c'est un incontournable. Mais de là à nous transformer en spécialistes des TI... Depuis quelques mois, une partie de mon équipe et moi qui n'y connaissions rien au progiciel Livelink fournissons des services professionnels en GID, à l'équipe de GID et aux utilisateurs du client. On a tous rapidement apprivoisé l'outil dont le pilotage et le soutien informatique est assuré par des pro des TI.
N'est-il pas plus facile de transformer des IT en archivistes que l'inverse ? Ce n'est pas la formation archivistique le problème, c'est ce qu'il se passe avant. On n'a pas besoin de spécialistes en TI (il y en a déjà quantité). On a besoin d'IT specialisés en archivistique, comme il y a des IT spécialisés en réseau, langages WEB, experts SAP ou informatique industrielle... Que les formations en archivistiques soient a l'entrée moins exigeantes sur le latin et plus exigeantes sur le binaire.
Tout à fait d'accord avec toi Antoine, sur la fin en tout cas et c'est selon moi ce qui explique le retard de la dématique dans ce milieu. J'aurais l'occasion d'y revenir...
En parcourant les offres d'emploi je me suis heurtée au même problème que soulève Mme Bisonnette. Le profil de l'emploi était clairement celui d'un gestionnaire de l'information, mais on demandait un bacc en informatique. Cette voie m'intéresse, mais je suis déjà en train de faire une maîtrise à l'EBSI (après cinq ans comme archiviste à BAC) et la voie de l'informatique me tentait car certains cours sont offerts par l'EBSI dans ce domaine, mais quand j'ai vu les offres d'emploi dans cette spécialité, j'ai tout de suite abandonnée. Il ne me sert à rien de faire les cours de l'EBSI en informatique si ils ne sont pas reconnus par les employeurs. Et je suis déjà en train de faire une maîtrise, je n'ai pas envie (ni les moyens) de faire un bacc en informatique en plus après... Il me semble qu'il faut constamment étudier pour ajouter des compétences à notre c.v. pour satisfaire les employeurs... moi je trouve que l'EBSI et les autres écoles en SI ont un rôle à jouer dans la promotion de notre formation qui est certes imparfaite, mais tout de même excellente. Nous pouvons occuper ces postes, il faut juste promouvoir la formation des spécialistes en SI.
Souvent, les TI ne s'intéressent pas au contenu, mais au contenant. Donc, l'archivistique est une épine à leur pied d'informaticien; ils peuvent s'y soumettre sans grandes convictions.
Expert en gouvernance documentaire a dit...
Quand un projet de GID est pris en main et contrôlé par les TI, il prend des proportions qui finissent par éluder les fonctions de base du système et outrepasser les besoins des utilisateurs.
D'ailleurs, avez-vous déjà vu de quoi a l'air un plan de classification réalisé par les TI?
Expert en gouvernance documentaire a dit...
J'ose même pas l'imaginer!
Expert en gouvernance documentaire a dit...
J'ai consacré un grande partie de ma vie professionnel à développer une méthodologie pour l'établissement de schémas de classification de qualité supérieure. Des structures qui s'appuient réellement sur les fonctions et les activités d'une organisation et sur des principes directeurs quant à la hiérarchie des rubriques, à leur énoncé et à la logique interne de l'ensemble. Cet aspect de notre métier dans lequel nous nous devons d'exceller ne semble intéresser personne.
Expert en gouvernance documentaire a dit...
Tous les finissants de programmes universitaires (toutes universités confondues et tout niveau de formation) que j'ai engagés m'ont avoué n'avoir jamais appris comment développer (dans le concret) des arborescences pour structure les dossiers et les documents. Alors, si une structure de classification est établie par les TI...
J'ai le même problème avec les profils d'archivage sur notre système d'archivage électronique (SAE)... S'il soit un profil métier, développé en RNG avec l'outil AGAPE, développé par des archivistes, je suis aussi confronté, de par ma position désormais à cheval entre utilisateur et exploitant, à des profils d'archivage développés par des TI, qui ne soient en fait que le moyen de dissocier les instances entre elles sur le coffre-fort numérique (CFN). J'arrive heureusement à savoir tout de suite de quoi il soit question selon l'interlocuteur et de remettre les choses en place quand public archivistique et TI se rencontrent. Encore en exemple, s'il soit besoin, de choix cohérents de sémantique.
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